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JEUNE FILLE AU SEIN NU

Attribué à Jean-Baptiste Greuze, Jeune fille au sein nu, 2de moitié du 18e s., huile sur toile © Nancy, musée des Beaux-Arts, photo. C. Philippot

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Récité par Victoria Fagot, étudiante du conservatoire

Chère amie, j’ai repensé à toi.

Te souviens-tu de ces étés où nous nous retrouvions à la même date à la même gare routière, pour prendre le même bus de 10h52 direction la rivière ?
Je garde en mémoire cette image figée de toi, tes cheveux ramenés vers l’arrière, noués timidement, encore un peu humides de notre dernier plongeon. Les gouttes d’eau ruisselant encore sur ta peau avant de s’évaporer sous les rayons du soleil du sud. On s’est connues porcelaines mais cet été-là, celui qui s’ancre au plus profond de moi, nous devenions adultes. Cette peau lisse que j’avais connue n’était plus. Elle laissait place à des courbes naissantes que l’on devait cacher aux yeux du monde et qui bientôt se mettraient en travers de nous. Cet été-là nous ne le savions pas, mais nous étions libres et heureuses ensembles pour la dernière fois.

Je te revois le regard tourné vers l’horizon, admirant modestement le paysage. Je te revois me dire à quel point tu te sens insignifiante face à tant de grandeur. Je me souviens de ton incompréhension du monde qui nous entoure, d’autant plus forte alors que nous fixions le ciel, bercées par l’eau. Toi plongeant le plus longtemps possible pour effacer, le temps d’un instant le brouhaha incessant de la vie. Ô comme l’eau est apaisante. Aujourd’hui encore, à chaque baignade je ne peux m’empêcher de penser à toi. De plonger, corps, tête et âme sous l’eau pour, le temps d’un instant, seulement, m’évader à mon tour du monde terrestre. Ce silence abyssal sera à jamais comblé par ta présence. Et ma solitude n’est jamais pleine car mon esprit n’a de cesse d’invoquer ton souvenir. Tu resteras à jamais un être cher, quoi qu’en dise le regard des autres.

Cet été-là, tout a changé. Nos corps de femmes nous ont trahies, nous ont délaissées, nous ont brisées. Et pourtant mon esprit refuse de se livrer à la colère.
Bénit soit ce sein qui s’échappe sans pudeur aucune par la force de notre plongeon et mes doigts qui le frôlent alors que tu guide ma main sur ton cœur pour me montrer comme c’est bizarre comment il bat là, maintenant, et que c’est d’autant plus bizarre parce que ça arrive surtout quand t’es avec moi. Ce sont là presque tes mots exacts. Des mots prononcés avec la plus pure des innocences.

Je ne peux me résoudre à haïr le sujet de mes premiers désirs. Je ne me permettrais pas de réduire ton corps, nos corps au rang d’objet. Nous étions leurs objets. Des marionnettes guidées par la chair, jugées par leurs pères, raillées, repoussées, séparées.
Maudit soit ce sein qui s’échappe sans pudeur aucune par la force de notre plongeon et mes doigts qui le frôlent alors que tu guides ma main sur ton cœur pour me montrer comme c’est bizarre comment il bat là, maintenant, et que c’est d’autant plus bizarre parce que ça arrive surtout quand t’es avec moi.
Le dernier jour je te disais t’aimer, l’été d’après nous ne nous sommes jamais retrouvées.

Mais des flammes de l’oppresseur, le phœnix de ses cendres renaîtra,
Si l’on ne se revoit pas, sache que ton souvenir subsistera, je m’y accroche fermement
Que le temps qui passe soit clément avec toi

 

Pour toujours et à jamais,
Ta tendre amie, Julie

Écrit par Julie Raymond, étudiante du CFA

Nous te proposons de compléter ton expérience en écoutant cette musique :

Chapelier fou, Grand Antarctica

https://www.youtube.com/watch?v=3jX_p9Ocn6s

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